« Confinement : dimanche, contre les déchets, relevez le défi « Une heure, un kilomètre, un kilo » » Pourquoi pas ?

L’idée serait de profiter des rares ballades solitaires autorisées par le confinement pour récupérer les déchets dans la nature. Plutôt malin non ? Vous sortez avec votre sac poubelle et vous récupérez ce qui traine. L’existence d’un bénéfice écologique est indiscutable.

L’idée ? En plein confinement, utiliser une heure de sortie pour ramasser des déchets abandonnés dans l’espace public. Objectif ? Récolter 1 kg en une heure dans un rayon d’1 km autour de son domicile. D’où le titre du communiqué rédigé par l’association à l’origine de cette proposition : 1h, 1 km, 1 kg.

C’est toutefois, symptomatique d’une écologie moraliste et c’est justement parce que ce n’est pas absurde que cet article m’a donné envie de réagir.

L’écologie des « petits gestes »

Ce genre de petits gestes s’incrit dans la logique de la fable du colibri, inventée par P.Rabhi:

Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! « 

Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »

Il s’agirait de « faire sa part ».

Un acte inconséquent

Le fait que l’impact de l’acte soit absolument insignifiant ne serait pas un problème : c’est mieux que rien.

Sauf que, pas tant que ça.

Si on fait le « bilan » de cette heure passée à se balader en ramassant les déchets, l’individu aura eu probablement, en fait eu un impact négatif sur la planête ! En effet, en moyenne il aura été responsable d’une forte émission de carbone (11,9Mn de tonnes de CO2eq par an) et de nombreux déchets (536kg/an, rq: cela inclut les déchets organiques, mais pas les déchets industriels liés à la production de ce qui est consommé, bref, un chiffre qui se nuance) !

Ne parlons pas de tous les problèmes qui continuent et que pérennisent l’inaction et l’inconscience des gens.

En outre, cela ne résoudra en aucune façon le problème des gens qui jettent des déchets dans la nature. Bref, le bilan de l’action elle-même est très douteux. D’autant plus qu’elle n’est pas réellement gratuite.

C’est, en effet, un acte qui a un coût. Les gens vont devoir y consacrer de l’énergie psychologique (et/ou diminuer le « gain » de la ballade).

Cette énergie, souvent ignorée, est pourtant très précieuse et aurait pu être consacrée à quelque chose de signifiant.

Se donner bonne conscience

Quel est réellement l’objectif poursuivi ici ?

S’agit-il vraiment de limiter la pollution liée aux déchets physiques ? Nous avons vu que ce « petit geste » était insignifiant. N’aurait-il pas été possible de consacrer l’énergie qu’a demandé ce « petit geste » à quelque chose qui ne soit pas insignifiant ?

En réalité, il s’agit ici surtout de se donner bonne conscience.

Vous allez faire une action ressentie comme un sacrifice au service d’une « cause » vertueuse. C’est un sentiment très agréable. Comment vous croyez que les religions prospèrent ?

On reste, au final, dans la même logique hédoniste (je fais quelque chose parce que ça me plait / procure du plaisir) que ceux qui ont jeté ces déchets en premier lieu.

L’alternative

Vous pourriez me dire : « d’accord, mais c’est mieux que rien non ? »

C’est tout à fait juste, ce que j’ai déjà rappelé à plusieurs moments de l’article. Toutefois, ce réflexe est un biais cognitif que nous a fait intégrer le moralisme omniprésent dans notre société et qui, ici, se traduit par cette réalité:

TOUT LE MONDE PENSE ÊTRE UN COLIBRI.

C’est le vilain secret que P.Rabhi (le « père » du Mouvement Colibri) aimerait cacher: pour éviter d’en faire plus, il suffit de modifier la conscience qu’on a de ses propres capacités ou même de les limiter.

« Aaah, je suis impuissant face à l’énormité de la tâche, je suis insignifiant, je ne peux donc que faire des choses insignifiantes, mais c’est mieux que rien, non ? »

Bullshit.

En réalité, les Français, même « de base », ont une capacité d’action énorme.

Il y a énormément de choses qu’on ne sait pas, de choses à chercher, de choses à trouver. Par exemple, la désinformation autour de l’agriculture est rampante: allez parler aux agriculteurs, comprenez ce qu’ils font et pourquoi et arrêter de croire les sornettes de quelques apôtres qui vendent leur soupe.

Rien que le fait qu’ils s’informent correctement serait un boost extraordinaire pour l’écologie (la vraie).

Ce n’est pas facile, il faut apprendre à chercher et toute notre éducation nous apprend, justement, à ne pas chercher (la culture de l’obéissance, j’en parlerai bientôt).

Bref, avant de dire aux autres quoi faire ou changer la société, il faudrait commencer par ce changer soi-même et développer sa capacité de compréhension (condition pour augmenter la capacité d’action utile).

Bref, l’écologie des petits gestes est une pseudo-écologie.

Un autre exemple d’hypocrisie

L’hypocrisie de cette prétention à l’impuissance m’a récemment frappée dans un autre article (oui, encore de positivr, c’est un peu un nid):

Les types sont des milliers et, au lieu d’utiliser leur capacité d’action à quelque chose d’utile, ils « désobéissent », demandent que d’autres agissent et font du bruit.

A la place, ils auraient pu travailler à comprendre les dynamiques qui causent les problèmes climatiques, comme ce que j’ai fait avec l’agribashing. La première chose serait de mieux comprendre la société.

Le truc c’est que ça, c’est très difficile. Cela suppose de se remettre en question et d’ouvrir son monde à d’autres réalités. Or, l’objectif, rappelez vous, est de se donner bonne conscience.

Bref, on a vraiment la caricature du militant oisif qui ne sait que réclamer.