Lilian Thuram vient de publier un livre « la pensée blanche » et, à cette occasion, a livré un interview à Le Monde, que je vais commenter rapidement ici.

Déroulé

On commence par un lieu commun très correct : on ne nait pas « noir », on le devient. La manière qu’a l’individu et la société d’appréhender la couleur de peau des gens n’est effectivement pas quelque chose d’innée. C’est comme le genre : c’est la manière qu’a le social d’appréhender le génétique.

« en créant la figure du Noir dans le contexte esclavagiste et colonial, les sociétés européennes ont inventé, par voie de conséquence, celle du Blanc. »

Cela me semble difficilement défendable: il y avait déjà des noirs en Europe à la Renaissance

Il continue :

Idéologie politique qui a divisé l’humanité pour mieux en exploiter une partie, la pensée blanche a ainsi forgé des catégories sociales qui continuent d’opérer dans les représentations et les imaginaires actuels et sont toujours projetées sur les individus, qu’ils soient fraîchement arrivés du continent africain ou français de peau noire depuis des générations.

« pour mieux en exploiter une partie » => Red Flag : on impute une intention sans la démontrer. Or, les discriminations viennent souvent simplement de la volonté de groupes sociaux de se différencier. Regardez autour de vous, c’est partout: nerds, geeks, sportifs, clubers … il y a une infinité de sous-cultures qui se discriminent les unes les autres.

L’auteur laisse en outre présumer que cela viendrait d’un groupe de personnes dominantes, ceux qui chercheraient à « exploiter » les autres. Ca sent le marxisme complotiste …

Dans mon livre, je relate cette histoire : j’ai demandé à un ami d’enfance, blanc de quelle couleur j’étais. Il m’a répondu « noir ». C’était une évidence. Je lui ai demandé ensuite de quelle couleur il était, lui. Il m’a répondu : « Je suis normal. » Il n’y a rien de méchant dans ce qu’il m’a dit, mais cela montre à quel point il a été éduqué à se penser comme étant la norme. Or la normalité ne se questionne jamais.

Non, ça ne montre rien: 1/c’est juste une anecdote sans la moindre portée 2/ cela ne dit rien de ce qui se questionne ou pas (qu’est-ce que ça veut dire du reste ?).

En France, la question raciale est vue comme lointaine

Euuh what ? Le rejet du FN, les accusations de racismes contre Sarkozy, etc. C’est lointain ?

Le privilège blanc est un privilège existentiel, celui de n’être jamais discriminé du fait de sa couleur.

Ok, donc ça n’existe pas.

Toute caractéristique visible entraîne « discrimination ».

En affirmant qu’il y a une pensée blanche, en lieu et place d’une pensée raciste, n’y a-t-il pas un risque ?

– Ce serait le cas si l’on parlait de la pensée des Blancs et non de la pensée blanche. Mais la pensée blanche n’est pas la pensée des Blancs. C’est une pensée qui est devenue une norme mondiale et qui peut aussi être celle de non-Blancs qui estiment qu’être blanc, c’est mieux.

Cela ne suffit pas à lui nier la caractéristique de raciste. Pourquoi ne pas parler de « racisme pro-blanc » plutôt que de laisser l’ambiguité ? S’agit-il de flatter les racistes anti-blancs ? Ou la gauche (blanche) française avide de s’auto-flageller ?

Notez qu’on retrouve la distinction entre « domination des hommes » et « domination du masculin » qui sépare les féministes radicaux des bourdieusiens.

Il y a une hypersensibilité sur cette thématique qui nous empêche d’avancer.

En dehors des racistes et des antiracistes, qui en parle ?

Il faut bien comprendre qu’aborder la question de l’égalité des Blancs et des Noirs ne se fera pas contre les Blancs mais profitera, au contraire, à tout le monde.

Non, ça va développer encore plus le clivage, comme aux US. Si on veut arrêter de penser à quelque chose, c’est pas en y pensant qu’on réussit. C’est en réévaluant ses priorités et en réalisant qu’on a des choses vachement plus importantes à faire qu’être débiles.

Cette pensée blanche, dites-vous, est née du système capitaliste. Comment lutter contre le racisme sans en sortir ?

Red flag : Ok, ça c’est du foutage de gueule politicard. Le racisme n’a pas de régime politique.

Tous les systèmes politiques liés à la racialisation ont été forgés par une élite intellectuelle, financière et politique.

Bon, « marxisme complotiste » validé.

La ségrégation ou l’apartheid n’ont pas été mis en place par les Blancs les plus pauvres.

Je l’encourage à lire « L’école des ouvriers » de Paul Willis, où des enfants d’ouvriers se discriminent allègrement sans assistance ou action « des riches ».

Bref, c’est un effet de loupe malhonnête qui s’adresse à ceux qui n’ont jamais trop creusé ces questions.

Le racisme est l’expression d’une volonté politique.

Intentionnalisme, erk.

Nous devons faire le lien avec le sexisme, le racisme lié à la couleur de peau ou à la religion, l’homophobie. A chaque fois, ce sont les mêmes mécanismes qui opèrent.

Plutôt que d’énumérer sans fin les « discriminations », il serait peut-être temps de voir que c’est avant tout notre rapport à la différence qui est en jeu ?

Conclusion

Au final, on a des propos qui ressemblent beaucoup à ceux d’un sociologue, il y a probablement pas mal de recherches et de nuances.

Le problème est qu’aujourd’hui l’essentiel de la sociologie est purement militante et n’a aucune intégrité intellectuelle. On sent ces dérives ici, avec des effets de loupe et des allégations non-justifiées (arrangeantes pour le storytelling présenté) à plusieurs reprises (rq: cela ne présume pas de l’intégrité de l’auteur, il a très bien pu être lui-même victime de ces effets de loupe).

Ce livre s’inscrit probablement dans le cancer militant:

  • Il donne des outils pour alimenter le racisme (puisqu’il y a une pensée blanche, il faudrait une pensée anti-blanche : hé oui, la question de l’appellation n’est pas neutre)
  • sans rien changer au racisme (je ne pense pas qu’il apporte la moindre innovation au domaine, surtout si on prend en compte la littérature américaine).

C’est toutefois le premier que je lis qui mets aussi clairement en évidence comment la gauche absorbe l’antiracisme. Je le lirai probablement.